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Institutrice, Claire est restée peu de temps à l'éducation nationale...


 

Claire, de professeur des écoles à Ecrivain, auteur de nombreux guides pratiques "sur commande"

 

 

Claire a été écrivain, spécialisée dans le domaine de la diététique et de la santé.

Elle a publié de nombreux livres depuis son départ de l’enseignement en 1994, et s’est affirmée dans un métier qui lui apporte la liberté à laquelle elle aspirait, loin de toutes contraintes horaires et hiérarchiques qu’elle ne supportait pas. 

 

Pouvez-vous nous retracer précisément les étapes de votre parcours professionnel depuis la fin de vos études jusqu’à votre activité actuelle ?

 

Après l’obtention d’une licence en 1990 et l’expérimentation de l’enseignement dans des institutions professionnelles privées, Claire devient maître auxiliaire en français et latin, avant de réussir en 1991 le concours externe de professeur des écoles, métier qu’elle exerce durant deux ans. Très rapidement, Claire s’aperçoit qu’elle ne supporte plus les horaires ni les contraintes administratives liées à ses fonctions : la rigidité de la voie hiérarchique à respecter, le sentiment d’être enfermée, d’appartenir à un corps d’Etat, de devoir être en accord avec un mode de fonctionnement qu’elle réprouve.

 

En 1991, pour s’occuper de l’un de ses enfants en bas âge, elle obtient une disponibilité, qu’elle renouvelle ensuite pour convenances personnelles, avant de démissionner en 1994, afin de quitter définitivement ce métier dans lequel elle n’exprimera pas ce tempérament créatif et indépendant qui l’anime et la motive.

 

Attirée par le milieu de l’édition, elle multiplie dans un premier temps les lettres de candidatures pour travailler comme correctrice, mais son premier contrat lui propose un travail d’auteur aux éditions DE VECCHI pour lequel elle rédigera trois ouvrages, avant de poursuivre cette activité avec Hachette.

 

La nouvelle vie professionnelle de Claire n’a plus rien de commun avec la sécurité de l’emploi des fonctionnaires, puisque son métier suppose une incertitude totale en matière de revenus, dont la régularité est liée au nombre d’ouvrages qu’elle aura su rédiger dans l’année, et aux ventes qui en auront découlé. Depuis 1994, Claire a publié plus de 60 livres dans de nombreux domaines : diététique, bien-être, santé, enfants, sexualité, relations interpersonnelles, et est devenue, au fil du temps, grâce à un travail de recherche documentaire important et une grande faculté d’adaptation, capable de travailler sur tous les thèmes. Pendant 13 ans, Claire a endossé le travail du « nègre », écrivant pour les autres, celui de réécriture, de remontage de livres existants, et a surtout réalisé entièrement de nouveaux ouvrages après la conception d’un synopsis, afin de convaincre, à chaque fois, l’éditeur de son projet éditorial.

 

Claire souligne que cette activité ne nécessite qu’une qualité : savoir écrire. Son tempérament l’a habituée à toujours aller au bout de ses projets, ce qui constitue un atout dans la profession d’écrivain. 

 

Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, Claire a-t-elle conservées ?

 

Incontestablement, alors que son métier ne requiert plus d’être face à des classes et de se sentir constamment jugée, épiée, jaugée par des dizaines de paires d’yeux, mais de se concentrer à domicile sur le projet du moment qui la motive à plein temps, c’est l’esprit de synthèse qui constitue la compétence primordiale. Cette compétence est spécifique à toutes les disciplines littéraires, comme le français, l’histoire-géographie, la documentation, puisque ces enseignants demandent souvent à leurs élèves, dans les travaux soumis à évaluation formative et sommative, ce type d’exercice.

 

Comment Claire a-t-elle vécu ce « grand saut » ?

 

C’est sereinement que Claire a évolué professionnellement, avec une grande confiance en elle, adaptable, sans peur du lendemain, de l’incertitude financière, de la précarité potentielle d’une telle activité. Dès le départ, Claire a été convaincue qu’elle réussirait, car elle en avait la volonté, la ténacité, avec cette soif de liberté et d’indépendance qui la caractérisent.

 

Elle souligne que « le gros problème des profs, c’est cette peur de quitter leurs petits acquis ». A partir de 50 ans, notamment, évoluer professionnellement devient plus difficile, et beaucoup d’enseignants reculent devant l’obstacle d’un changement qu’ils appellent pourtant de toute leur âme, parce qu’ils en sont à comptabiliser le nombre de points qui leur sera nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein… qui ne se produira qu’une dizaine d’années plus tard au minimum.

 

Comment ses anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?

 

Titulaire remplaçante, « bouche-trou », Claire n’a pas eu le temps d’ancrer ses pratiques pédagogiques dans un même établissement, et n’a pu créer de liens au sein d’une équipe stable d’enseignants. Gageons que c’est là l’une des difficultés majeures que rencontrent les jeunes enseignants, souvent victimes des « mesures de cartes scolaires », et affectés en début de carrière sur des postes de remplacement parfois très contraignants, fort éloignés les uns des autres, dans des établissements où les conditions de travail ne sont pas toujours évidentes. 

 

Parmi ses amis enseignants, Claire a suscité l’admiration et les encouragements pour réussir cette réorientation. Pour beaucoup d’enseignants, la sécurité de l’emploi est difficile à abandonner, et ce sentiment devient de plus en plus contraignant avec l’âge, surtout si l’enseignant n’a connu que l’enseignement comme activité professionnelle.

 

Travailler tout le temps chez soi, alors que l’enseignant côtoie un public nombreux, dans une agitation quasi permanente, est aussi une difficulté évoquée par ces enseignants, qui auraient « peur de ne pas y arriver, de ne pas avoir les compétences requises ».

 

Claire a-t-elle eu des regrets de quitter l’enseignement ?

 

Claire est très affirmative et très directe : aucun regret, non vraiment : « je suis ravie, je gagne mieux ma vie que lorsque j’enseignais, je suis libre de mon temps, je suis libre tout le temps ».

 

Entre une vie de contraintes administratives et de liens hiérarchiques et une vie indépendante où elle ne compte que sur elle-même pour réussir ses projets, c’est naturellement et sereinement que le passage s’est réalisé.

 

Comment Claire considère-t-elle l’enseignement maintenant ? 

 

Claire admire beaucoup ses amis restés enseignants, et tous les profs en général : « c’est un travail super dur ! Un sacerdoce… Les vacances sont méritées, je suis très admirative, j’ai beaucoup de compassion pour tous ces profs épuisés par leur carrière, et par leur devenir, avec cette angoisse toujours de plus en plus présente, après 20 ans d’enseignement, de savoir comment terminer leur vie professionnelle autrement que devant des classes plus ou moins agitées ».

 

Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?

 

« Mes conditions de travail sont idéales, mais je rencontre peu de gens. La plupart de mes interviews se déroulent par téléphone ». Claire a pu par deux fois, en 2000 et en 2003, travailler en plus comme journaliste payée à la pige, pour le site alafolie.com puis pour le site aufeminin.com.

 

Claire indique néanmoins que le métier d’auteur n’est pas conseillé aux angoissés, à ceux que l’insécurité totale rend nerveux : en effet, un auteur n’est rémunéré que sous forme d’à-valoir, au début de chaque projet, lors de la signature du contrat, dont le montant peut varier entre 1.500,00 € et 4.000,00€, et que ses droits d’auteur, qui atteignent en moyenne 6%, ne sont payés qu’à partir du moment où l’éditeur s’est remboursé l’avance versée à l’auteur.

 

Le métier de Claire suppose des nerfs solides, une grande confiance en soi, avec un sens aigu de la qualité du travail à fournir, et une grande créativité, pour repartir régulièrement, plusieurs fois par an, sur de nouveaux projets, en se pliant aux exigences éditoriales de ses clients.

 

Tout comme un enseignant face à ses élèves, Claire a dû peu à peu asseoir sa réputation, ce qui lui permet depuis quelques années de décrocher avec le même éditeur de nouveaux contrats. Elle déconseille pour faire ses premiers pas comme auteur d’adresser un CV et une lettre de motivation à un éditeur : « j’écris un mail ou je téléphone, je propose une idée d’ouvrage avec conviction, je mets tout en œuvre, avec un synopsis bien charpenté, pour persuader mon interlocuteur que le projet est un bon projet ». L’éditeur, qui « mise » sur un nouvel auteur, a en effet besoin d’être rassuré sur la viabilité du projet… c’est donc un travail de négociation à mener, qui suppose d’avoir du tempérament, des nerfs d’acier, et les reins solides, aussi, financièrement, en cas de déconvenue. « Il y a des périodes de vaches maigres et d’autres avec de bonnes surprises ».

 

Quels conseils Claire donnerait à une personne qui souhaite enseigner ? Et à une personne qui souhaite quitter l’enseignement ?

 

« Je conseillerais à cette personne d’avoir la foi en ce métier, de savoir travailler en équipe ». 

 

Cette remarque de Claire semble essentielle à l’association AIDE AUX PROFS. En effet, dans un travail de Master consacré à « l’accompagnement à distance pour les enseignants : effets sur leur motivation à évoluer professionnellement », le fondateur d’AIDE AUX PROFS, Rémi BOYER, a remarqué tout au long de son travail d’enquêtes par questionnaires et entretiens que les enseignants qui se découragent de manière précoce dans le métier d’enseignant sont ceux qui ne participent pas à des travaux d’équipe en concentrant leur énergie uniquement sur la conception de leur cours. Ce mode de fonctionnement les contraint peu à peu à un isolement pédagogique et à un individualisme néfaste à leur bien-être professionnel. 

 

Alors qu’une enquête de la MGEN en 2006 présente le seuil du découragement à 8,3 années de carrière, avec une envie d’évoluer professionnellement dans les 10 ans à venir pour près de 6 enseignants sur 10, AIDE AUX PROFS a remarqué que les jeunes enseignants ont souvent du mal à s’impliquer dans leurs premières années de carrière dans des projets d’équipe, tout simplement parce que le côté didactique de la conception de cours est vécu comme éprouvant. Ces jeunes enseignants sont donc rapidement fragilisés par un panel de contraintes qui ne leur font pas aimer le métier, et une partie s’en détourne avant d’avoir connu les « joies pédagogiques » que peut procurer l’expérience d’une sortie pédagogique ou d’un grand projet de classe.

 

Que conseille Claire à un enseignant qui souhaite changer de voie professionnelle, ou s’engager dans une « seconde carrière » ? 

 

Tout simplement de « savoir monter un projet, de bien réfléchir, de réaliser un bilan de compétences sans trop tarder, même si c’est pour aller occuper un emploi plus précaire ». Pour Claire, l’âge n’est pas un critère rédhibitoire : « il n’y a pas de date limite pour se reconvertir, sauf quand on n’en peut plus psychologiquement ou physiquement, et il vaut mieux ne pas attendre d’en arriver là. Quand on commence à aller travailler à reculons, il faut s’alarmer, partir, changer ». 

 

En effet, AIDE AUX PROFS constate que 15 à 20% des enseignants qui contactent l’association ont attendu l’extrême limite de ce qu’ils pouvaient supporter, ce qui handicape en fait leur projet : leur santé mentale est tellement affectée par leurs conditions de travail, qu’ils adoptent une attitude de fuite dans leur objectif de reconversion, alors qu’au contraire, il faut d’abord être en accord avec soi-même et serein dans son domaine professionnel pour savoir bâtir un projet sur des bases solides.

 

A ce stade, nous pouvons indiquer qu’un bon projet professionnel se mûrit, et doit être anticipé, sans attendre une profonde démotivation, une année où rien ne va plus et où changer relève de l’extrême urgence. Souvent, c’est trop tard, car le moral de l’individu est entamé, ainsi que sa capacité à réaliser un travail sur lui-même, avec une volonté de changer qui n’a aucune consistance, qui n’est bâtie que sur du sable et n’aboutira qu’à une profonde déception, de nouveau. Pour bâtir un projet professionnel, il faut ressentir en soir de la confiance, de l’assurance, être en bonne santé, prêt à relever de nouveaux défis, le vivre comme un challenge personnel, et aller à la rencontre d’un nouvel emploi en apportant ses compétences, et non comme demandeur « d’autre chose ».

 

C’est en cela que le travail réalisé par les bénévoles d’AIDE AUX PROFS avec les adhérents de l’association leur est utile, car leurs expériences respectives de la réorientation leur permettent de mieux assurer ce retour d’expérience nécessaire à tout enseignant qui s’interroge sur ses perspectives en cours de carrière.

 

Que pensez-vous de la création d’une association comme AIDE AUX PROFS ?

 

« C’est un concept super sympa, une bonne expérience pour changer d’orientation », indique Claire, conquise par cet entretien, où nous avons apprécié sa conviction, sa passion, sa volonté de toujours aller de l’avant, de se lancer dans de nouveaux projets, avec la certitude d’avoir choisi ce qui était bon pour son équilibre, pour son tempérament, sans aucun regret. 

 

Au travers de cet entretien, nous avons vraiment eu le sentiment d’avoir rencontré une ancienne enseignante heureuse d’avoir évolué professionnellement, d’avoir su donner corps à son rêve, et d’en avoir fait son métier : écrire.

 

Interview réalisée par Rémi BOYER de l'association AIDE AUX PROFS pour la rubrique Seconde Carrière n°89 de janvier 2008 pour le Café Pédagogique.



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