Nathalie, de Professeur de Lettres Modernes à Coach
Pouvez-vous retracer précisément les étapes de votre parcours professionnel depuis la fin de vos études jusqu’à votre activité actuelle ?
Après avoir réalisé ses études à l’Ecole Normale Sup de St Cloud, par goût pour la littérature, Nathalie obtient l’agrégation de Lettres Modernes en 1987, sans avoir jamais souhaité devenir enseignante, car ce n’était pas un « vrai métier » à ses yeux, puisque coupé de la réalité de la vie économique.
Bien qu’attirée par le conseil en relations publiques, Nathalie parcourt pendant quinze années les méandres de l’enseignement, devenant en particulier professeur AND (Ancien normalien doctorant) pendant 3 ans, à l’université de Paris X professeur en lycée technique à Créteil pendant 2 ans (qu’elle assimile à des années de souffrance, car les classes n’y étaient pas faciles), puis professeur en lycée d’enseignement général pendant 5 ans (avec des heures en BTS et en CPGE). En 1998, le statut dont elle bénéficiait depuis 1992 pour ne pas enseigner en collège lui est supprimé, et le rectorat l’affecte de nouveau à ce niveau d’enseignement, qu’elle refuse, réussissant à occuper un poste en IUFM.
Elle y formera des Professeurs des Ecoles motivés, intéressés par leurs études, et, si leurs résultats au concours furent excellents, un poste définitif à l’IUFM lui fut refusé par ses pairs au prétexte qu’elle ne rentrait pas « dans le moule » en indiquant lors de l’oral de recrutement que la qualité principale d’un formateur est « sa capacité à douter, à se remettre en question, à confronter sa pratique à celle de ses pairs ». C’est pourtant de cette manière que l’on peut espérer faire avancer autant la recherche que l’enseignement de sa discipline.
Tout en assurant comme TZR une année difficile avec des classes de BTS jusqu’en l’an 2000,
Nathalie décide, avec une grande détermination et un fort enthousiasme, de réorienter sa carrière vers les ressources humaines et le coaching qu’elle a découverts comme étant sa véritable vocation.
En route vers le métier de coach, pour quitter un univers décidément bien rigide et peu valorisant
Alors que la disponibilité pour convenances personnelles qu’elle sollicitait de son rectorat lui est refusée, elle doit menacer de démissionner pour que sa demande soit enfin acceptée, à son grand soulagement, pour donner à sa vie un autre destin : une formation au métier de coach, dispensée sur deux ans par un cabinet spécialisé tourné vers le monde de l’entreprise et la culture du résultat lui permet de découvrir le métier de coach individuel et d’équipe dans toute sa dimension, en apprenant les techniques d’animation par une approche systémique auprès du Cabinet International Mozaïk à Paris.
Dès la troisième année, Nathalie se voit confier des missions en entreprise, accompagne des séminaires dans d’autres cabinets de coaching, ce qui lui permet, peu à peu, de cantonner son parcours dans l’enseignement à deux lignes de son CV, puisque, insiste-t-elle « venir de l’enseignement est vécu comme un handicap, puisque c’est un métier coupé de la réalité économique ».
Nathalie possède en elle une forte motivation, éprouve le sentiment de disposer d’un bon potentiel, avec le souhait ardent de choisir librement sa propre carrière, qu’elle estime être mal gérée par les services des ressources humaines de l’Education nationale « qui ne tiennent pas compte des diplômes ni de la professionnalisation des personnes en les nommant n’importe où ».
En 2003, elle rejoint une marque américaine, leader mondial de la Formation professionnelle, en qualité de Directrice d’un pôle de coaching et de formation. Pendant quatre ans, elle réalise des ingénieries pédagogiques sur mesure, et délivre des prestations dans les domaines de la vente, de la communication et du management. Elle apprend aussi à vendre des prestations de service. Grâce à un entraînement intensif suivi aux Etats-Unis, elle est certifiée « Master Trainer », ce qui lui permet de recruter et de former des formateurs-coachs pour la France.
En 2006, Nathalie crée sa propre structure, le cabinet CAP_21 Conseil en Ressources Humaines, pour accéder à son objectif : être libre et indépendante, faire la preuve de ses capacités, mettre en œuvre son potentiel.
Nathalie estime que pour se donner les meilleures chances de réussir dans le privé, « un professeur doit se reconvertir, s’il en a vraiment envie, à 30-35 ans, et au maximum à 40 ans, car personne ne vous attend à la sortie, et il faut pouvoir faire ses preuves dans la durée, asseoir une réputation auprès de ses clients sur le long terme ».
Quelles compétences, mises en œuvre dans l’enseignement, Nathalie a-t-elle transférées ?
« La pédagogie, la capacité à transmettre » souligne-t-elle. Nathalie travaille avec des méthodes anglo-saxonnes, spécifiques aux adultes, qu’elle juge bien plus efficaces que celles enseignées en France, et ajoute que « les qualités rédactionnelles, la capacité d’analyse et de synthèse » ont une forte valeur ajoutée dans son métier.
Comment Nathalie a-t-elle vécu « ce grand saut » ?
« Avec la conviction que j’allais réussir, une détermination sans faille, en travaillant avec acharnement durant ces trois années de reconversion ». Nathalie ajoute « je me suis condamnée à réussir, il n’y avait pas d’option de retour, car même si l’enseignement est en apparence une prison dorée pour les congés scolaires, le ratio temps libre/moyens financiers n’est pas proportionnel, et cela se ressent de plus en plus depuis la mise en place de l’euro ».
Néanmoins, ce pas vers le coaching, elle l’a vécu « avec euphorie, ambition et travail, puisque je devais constamment faire mes preuves ». « La confiance en soi est déterminante aussi. »
Comment ses anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
Comme pour les professeurs précédents que nous avons interrogés, c’est la même admiration qui revient chez celles et ceux qui ressassent des années leur envie de quitter l’enseignement sans oser franchir cette étape cruciale : « chapeau », « bravo », « il en faut du cran », « il faut être capable »…
Nathalie a-t-elle des regrets d’avoir quitté l’enseignement ?
« Pas du tout, aucun regret, je suis devenue libre, et si c’était à refaire, je n’entrerais tout simplement pas dans l’enseignement ». « J’ai enfin l’impression de servir à quelque chose, d’avoir une place dans la société, un but, je gère mon temps comme je veux, et je gagne 3 fois mieux ma vie que lorsque j’étais agrégée ».
Nathalie ajoute aussi qu’elle ne fait jamais la même chose, et, même si elle travaille tout le temps en tant que chef d’entreprise, c’est avec passion, sans contraintes, sans attendre comme dans l’enseignement les prochaines vacances pour souffler un peu. « Les vacances dans le métier d’enseignant sont vraiment nécessaires pour se reposer, car c’est un métier éprouvant».
Comment considère-elle aujourd’hui l’enseignement et le conseillerait-elle à des jeunes ?
« C’est un métier hétérogène avec d’une part des gens passionnés, et d’autre part des gens qui subissent et évoluent dans une routine qui leur pèse au quotidien, avec ce sentiment d’impuissance, d’incapacité à se remettre en question ».
« Globalement, j’ai le sentiment que les professeurs sont une catégorie socioprofessionnelle peu épanouie, avec beaucoup de gens qui ne sont pas fiers de leur parcours, et la société leur renvoie une image négative d’eux-mêmes ». Nathalie estime que « tant que les syndicats domineront la politique menée par les gouvernements qui se succèdent auprès des enseignants, on aura beaucoup de mal à faire avancer les choses ».
« Personnellement, je déconseillerais ce métier, car je trouve anormal que l’on envoie des jeunes à peine formés dans des établissements très difficiles, alors que les enseignants les plus expérimentés occupent les postes les plus prestigieux ou les plus tranquilles ».
Que pense Nathalie d’une structure bénévole comme AIDE AUX PROFS ?
« C’est une bonne chose, car beaucoup de professeurs souffrent, et l’idée que quelqu’un peut les accompagner, leur montrer les choses sous un angle différent, leur permet de commencer à construire leur projet s’ils en ont vraiment la motivation ».
Nathalie, qui ajoute avoir aimé ce métier, l’avoir exercé avec passion, indique que pour le quitter « il faut en vouloir, bien s’informer sur la formation que l’on souhaite entreprendre pour être sûr qu’elle est reconnue par les entreprises ».
Avant de se lancer dans une réorientation, Nathalie conseille « de prévoir sa reconversion sur une durée réaliste : deux à trois ans, pas moins ». Pour ce faire, il faut être accompagné, guidé, soutenu, et tester à chaque étape la viabilité de son projet, car en tant qu’enseignant, on n’a qu’une vision partielle de la réalité de ce qu’est la société et son environnement économique. « Le projet professionnel doit être clair, dès le départ, et plus l’on est jeune, mieux c’est, avec beaucoup de volonté ». « C’est l’état d’esprit qui fait la différence avant tout, plus que les compétences ou la formation initiale. L’esprit de l’entreprise privée est à des années-lumière de la fonction publique. C’est un choix de vie d’abord, qui doit guider la nature de la réorientation. »
Son opinion rejoint celle des bénévoles d’AIDE AUX PROFS : une mobilité professionnelle doit s’anticiper dès le début de la carrière (en prévision d’une envie de changement), en réalisant des projets pédagogiques pour acquérir de nouvelles compétences, en suivant des stages de formation, en perfectionnant l’apprentissage d’une langue étrangère, en reprenant des études en lien avec ses centres d’intérêt, en pratiquant des activités associatives : en menant une carrière dynamique, les chances de se reconvertir sur un poste de non enseignant, dans le public ou dans le privé, sont plus importantes que si l’on se cantonne à l’acte d’enseigner en préparant des cours et en corrigeant des copies. De la diversité des expériences professionnalisantes naissent les compétences et la motivation à se projeter dans un nouvel environnement, pour ne pas se laisser enfermer par la routine.
Interview réalisée par Rémi BOYER de l'association AIDE AUX PROFS dans la rubrique Seconde Carrière n°90 de Février 2008 qui fut publiée pour le Café Pédagogique.
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