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Agrégé d'histoire, François a eu une carrière très diversifiée lui aussi


François, de Professeur d’Histoire-Géographie à responsable d’une Mission Académique à l’Innovation et à l’Expérimentation

 

 

Quel a été son parcours professionnel ?

 

Affecté dès le début de carrière sur un poste durable en banlieue difficile, François a toujours combiné d’autres terrains

 

Chargé de cours dans le supérieur, encadrant des chantiers de recherche archéologique, il a pu rapidement muter à Paris. Agrégé d’histoire, médiéviste spécialisé en archéologie, il enseigne durant dix ans avec les élèves les plus divers, avant d’être « happé » par la formation pour adultes ; le domaine n’était pas inconnu puisque ses parents travaillaient dans ce secteur.

Initié très tôt à l’informatique, puisque son père dirigeait le service Formation et Innovation (clin d’œil au destin du fils) à IBM France, François intègre très vite tout ce qui touche aux nouvelles technologies, leurs applications pédagogiques, leur développement dans un cadre éducatif en lien avec la formation.

 

Paradoxalement, Il aborde le monde de la formation lors de son service militaire en Allemagne, en encadrant des jeunes issues des banlieues, en préparant des personnels engagés aux concours ; cette expérience où l’on a tout le temps parlé de « pédagogie et de formation » lui apprend de la même façon ce qu’est une organisation hiérarchisée et pyramidale, avec ses codes et ses règles.

 

La didactique fait partie de ses pratiques quotidiennes et François appartient à la génération du « professeur projet » de la fin des années 80 et de la naissance des EPLE, s’impliquant dans les Projets d’Etablissements, avec une pratique régulière du projet pédagogique par contrat, des moments où il apprend le concept même d’accompagnement.

 

François occupe le poste de responsable de la Mission Académique à L’innovation et à l’Expérimentation de l’Académie de Paris à l'époque de cette interview (Février 2008), à la charnière entre l’inspecteur, le formateur et le consultant en formation. « On est venu me chercher, à chaque changement ou inflexion » souligne-t-il.

 

Pour progresser dans sa carrière, François, très implanté dans son établissement, mais aussi déjà sollicité par l’extérieur (formation continue, édition, cours etc…)  a d’abord écouté les conseils d’un de ses chefs d’établissement : « Il faut penser d’abord à soi, au parcours que l’on peut faire ; on peut tout à fait servir les mêmes objectifs, mais dans des postures ou des métiers différents ».

 

Son positionnement sans être décliné en un statut, constitue une reconnaissance de ses compétences, de son potentiel, bien au-delà des diplômes acquis.

 

François indique pour nos lecteurs qui s’interrogent sur les débouchés accessibles aux profs dans les rectorats qu’une lettre de candidature spontanée ne suffit pas : des seules capacités, telles un Master Education et Formation , sont une bonne porte d’entrée, mais il semble nécessaire de faire état d’ une expérience en plus, un profil très ajusté, répondant à des attentes, à un besoin précis ; notamment dans des postes de type académique où il est d’emblée demander une connaissance fine experte du « terrain » ; c'est-à-dire du fonctionnement institutionnel d’une part, d’autre part des contextes et situations professionnelles que vous allez devoir accompagner. « Il faut être capable de s’adapter, réactif, ouvert pour savoir travailler en équipe, avoir le sens du collectif, l’esprit d’initiative, tout en respectant une structure hiérarchique ».

 

« Mon poste n’est jamais paru au BOEN, et je n’ai pas été demandeur » : nous pouvons souligner ici que tous ceux que nous avons interviewés et qui travaillaient au sein d’un Rectorat pour des missions spécifiques nous ont donné la même réponse. « C’est parce que j’ai travaillé en association étroite avec la responsable d’alors pendant plusieurs années, qu’à son départ précipité, il a semblé naturel au directeur de l’académie de faire appel à moi ». 

 

Dans tout autre rectorat, cette mission est confiée à l’Inspection. Ce n’est donc pas le cas à Paris. Voit-il y voir un signe encourageant pour l’évolution de notre Institution que de passer d’une logique statutaire à une logique de gestion des compétences ?

 

Les Rectorats, lorsqu’ils ont besoin de profils de compétences précis, qu’ils ne trouvent pas dans leur vivier d’AASU, de CASU, de SGASU, font appel à des enseignants, qui apportent à l’institution un autre regard, une autre ouverture, un renouvellement des pratiques. Néanmoins, les statuts d’emplois sont très divers, aléatoires dans le temps : mise à disposition, chargé de mission, décharge, temps partagé… Il faut imaginer aussi des constructions « baroques » ; François reste « TZR » de l’académie sur sa fiche de paie.

 

C’est la réponse technique qu’une institution donne à une organisation innovante par ailleurs.

 

Quelles compétences François pense-t-il avoir transférées sur ses nouvelles fonctions ?

 

François a conçu dès le départ ses cours en collège et en lycée comme de la formation, axée sur le développement de compétences des élèves, comme s’il était tombé dans la « marmite de la pédagogie » dès son entrée dans l’enseignement.  Il pratique avec enthousiasme, mais toute rigueur aussi, l’ingénierie pédagogique, avec des activités de groupe favorisant la communication avec autrui, et introduit avec bonheur les TICE dans son enseignement. C’est ainsi que tout était prêt d’une certaine façon à l’ouverture de l’Internet au grand public en 1996.

Il prend aussi acte des dimensions stratégiques par rapport à ses fonctions en participant au Conseil d’Administration de son établissement, en comprenant les « jeux d’acteurs » et l’analyse de la prise de décision, jamais bien travaillée dans toute formation initiale d’enseignant. Tellement fondamentale dans un jeu collectif.

Il ne faut pas sous-estimer la dimension d’auto-formation, mais aussi celle de formation de formateurs. J’ai énormément appris en regardant d’autres collègues alors beaucoup plus avancés en pratiques et en réflexion, mais en collaborant directement avec eux. Il ne s’est pas passé une année sans que je planifie au moins un « séjour à l’extérieur », c'est-à-dire une formation de formateurs, de niveau national.

 

Enfin, la « mue » de simple enseignant à responsable rectoral me semble aussi passer par une étape « réflexive » en participant à un ou plusieurs groupes d’analyse de pratiques sur la durée. C’est un véritable apprentissage « institutionnel » qui s’élabore.

 

Comment ses collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?

 

« Mes collègues directs étaient ravis, et cela m’a permis aussi, par la suite, de les faire entrainer sur quelques chantiers ailleurs avec beaucoup de bonheur pour tous ; quant à d’autres, il est tout à fait possible qu’ils aient pu dire (ou penser) « ouf ». C’est une difficulté récurrente à tout collègue en phase de dynamique professionnelle, oscillant entre un ici et un ailleurs ; à un moment, on se trouve en décalage et une bascule est alors souhaitable. ».

 

A-t-il eu des regrets de ne plus enseigner ?

 

C’est précisément pour éviter le sentiment des regrets, si cher à Sainte-Colombe, que François n’a jamais lâché le monde de la formation, poursuivant en ce domaine des activités de consultant en éducation et en formation. Là, l’expérience de l’archéologie est tout à fait probante : c’est bien la connaissance fine de plusieurs terrains d’étude qui construit l’expertise. 

On ne peut « administrer » ou piloter sans se confronter à des occasions multiples de formation ; il y a là un espace, un « passage à l’acte », comme un rouage dans une machine complexe, qui semble manquer à présent dans notre institution. « Je me garde la possibilité de pouvoir revenir à l’enseignement ; je suis sensible, c'est-à-dire réceptif aux impacts de mes travaux ; si je ne peux plus les percevoir en raison d’écrans trop lourds ou trop nombreux, je change. Je veux me sentir efficace et utile, c’est notre seule raison d’être dans un rectorat », insiste-t-il.

 

En Finlande, terre désormais « promise » de l’Education, il n’y a pas d’inspecteur ; lors d’une mission en Roumanie, au cours d’un rendez-vous avec la Directrice de l’Enseignement scolaire au niveau national, elle regarda sa montre en s’excusant sincèrement : « dans une demi-heure, j’ai cours ! »….

De fait, mon activité n’est pas « bureaucratique », ou alors comme toute autre fonction désormais comporte sa partie d’administration intégrée. A la manière d’un pastis de Pagnol, c’est bien un tiers de formation, un tiers de direction, un tiers d’analyse sur le terrain… et un tiers d’écriture, une quasi-exigence professionnelle à ce niveau de pratiques.

 

Comment considère-t-il l’enseignement maintenant ?

 

« Avec un infini respect des profs, c’est un réel travail de terrain, l’essence même de l’éducation.  Je ne suis là que pour servir les acteurs de terrain, profs et direction, dans leur pratique quotidienne, en accompagnement, en conseil et en formation. En cela, c’est une « mission » reconnue par l’académie ». On ne peut accompagner que ce que l’on considère, on ne peut valoriser que ce que l’on reconnaît. 

 

Que pense-t-il de ses conditions de travail actuelles ?

 

« Sincèrement, c’est une question d’attitude face à la vie et les conditions qui vous sont faites; soit vous acceptez tout en disciple du stoïcisme, gage de stabilité et d’ordre – il faut en passer par là d’abord, voie de la sagesse -, soit vous élargissez peu à peu votre cadre.  

Souvenez-vous, simple et tout petit jeune débutant enseignant, quand vous avez pris « votre» salle : rien n’était à sa place ; il a fallu tout créer d’une certaine manière. Une institution comme le rectorat n’est pas très différente de n’importe quel autre établissement ; votre existence formelle ne suffit pas, il faut aussi l’incarner par d’autres signes, mêmes matériels, mais aussi symboliques. » 

 

Pour répondre donc directement à votre question : « Elles sont très correctes, avec une capacité d’initiative, de création, d’autonomie, et donc de responsabilité, de la même façon que je le concevais lorsque j’étais professeur ».

 

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite enseigner ? 

 

« Allez-y ! bravo ! enseigner est un bon choix, une bonne voie. Cependant, il faut avoir en soi de la détermination, car ce métier est très riche, sollicitant aussi, comme tout métier de relation à autrui : c’est un métier de patience, d’approfondissement sur soi pour mieux servir les élèves, et donc forcément renouvelé. C’est exactement ce que disait Januzs KORCHATCK. »

 

Et à une personne qui souhaite quitter l’enseignement ?

 

« Bravo aussi ! … Mais il ne faut pas quitter ce métier pour le fuir, parce que l’on est en difficulté. Quitter la classe, c’est un vrai choix, un projet à construire, qui se prépare ». 

 

François ajoute que s’il on accepte l’idée de naviguer plus loin que l’enseignement, cela pose très directement la question de déterminer pour vous « la carte et la boussole » vous allez utiliser pour vous orienter, pour accomplir cette mobilité professionnelle vers une « nouvelle carrière », en devenant « acteur de son propre parcours ». Il y a là une phase d’introspection et d’évaluation nécessaire ; c’est pourquoi ce type de compétence est à développer le plus tôt possible dans la carrière. 

 

Que pense-t-il de la création d’une association bénévole comme AIDE AUX PROFS ?

 

« C’est une initiative excellente, car les académies ne peuvent pas tout faire. Les DRH, face au nombre, gèrent les situations difficiles, les personnels qui ont des problèmes de santé, mais ne peuvent pas prendre en compte, c’est fort dommage, les parcours de carrière des professeurs. Sur ce plan, l’action des DRH n’est pas complètement construite, elle est en gestation seulement. La commission Pochard le confirme fort justement. ». 

 

François ajoute cependant, et nous en sommes aussi conscients, que « les besoins sont très importants, peu de choses suffiraient pour débloquer pas mal de situations jugées difficiles ; mais symboliquement, ce serait fort. Dans le domaine professionnel, la reconnaissance de la valeur est toujours sur le plan symbolique, je pense que l’on sous-estime cette donnée du problème. ».

 

 

Interview réalisée par Rémi BOYER pour le n°90 de février 2008 de la rubrique Seconde carrière que notre association AIDE AUX PROFS a animée de 2006 à 2016 pour le Café Pédagogique.

 

 


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