AIDE AUX PROFS a accompagné Frédéric HOTOIAN dans sa démission il y a deux ans afin de lui permettre de réaliser son rêve: concevoir et vendre des cartes pop-up appelées aussi cartes animées ou 3D.
Interview réalisée par Rémi BOYER
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études ?
Après l’obtention de ma licence AES, j’ai immédiatement tenté deux concours pour être professeur. Tout d’abord celui d’économie, puis d’instituteur. J’ai obtenu le second. J’ai donc intégré immédiatement le corps de l’administration.
Qu'est-ce qui vous avais attiré vers l'enseignement ?
A vrai dire, je ne savais pas exactement vers quoi m’orienter à la sortie de mes études. Mes parents m’avaient toujours plutôt « guidé » sans trop me laisser le choix. Mes études ne m’avaient pas passionné et mes goûts me portaient plus vers les domaines artistiques et créatifs.
Deux choses m’ont décidé à m’orienter vers l’enseignement :
- J’avais travaillé en centre aéré l’été et le contact avec les enfants avait été plutôt gratifiant. J’avais par ailleurs donné des cours particuliers à un enfant au parcours difficile et visiblement j’étais parvenu à l’aider et à le remotiver.
- Par ailleurs, ma compagne commençait à enseigner en primaire et cela m’a paru une bonne option.
Quels projets les plus intéressants y avez-vous pratiqués pour vos élèves ?
J’ai toujours aimé faire découvrir la musique aux enfants, donc je dirai le chant qui emportait l’adhésion de tous ou presque. J’ai prolongé cela avec le théâtre en mélangeant d’ailleurs celui-ci avec la précédente activité.
Je pourrais y ajouter les activités manuelles en général, parfois reliées aux sciences. Nous avons par exemple fabriqué des maquettes de volcans après avoir étudié le sujet. Pour finir, un autre moment plaisant était celui où je partageais avec les enfants le goût des plantes et des insectes. En général pour ce qui est des plantes, j’aimais leur montrer des choses insolites comme les carnivores ou les broméliacées. Pour les insectes, avec un peu de verdure, ce n’était pas très compliqué.
Qu'avez-vous pensé de vos conditions de travail et du rapport que la hiérarchie entretient avec les professeurs ?
La question est difficile tant les choses ont changé avec le temps. Je dirai qu’au début de ma carrière (1994), la hiérarchie était distante et peu présente. Le seul moment où l’on avait des échanges avec l’inspection, c’était lors des visites.
Donc autant dire que cela était rare. Globalement, l’inspection souhaitait qu’il n’y ait pas de vagues et s’impliquait peu quand il y avait éventuellement un problème. Ce n’était pas fantastique mais au moins notre quotidien était peu affecté par des injonctions sans cesse changeantes et absurdes. Aujourd’hui, là est le grand changement. S’y ajoute des évaluations si centrales qu’elles obèrent une bonne partie de l’année et des connaissances et compétences à faire passer sur un temps plus réduit et une pratique qui en découle bien plus formatée.
L’intervention des « supérieurs » est devenue pressante et presque hebdomadaire. Les conseillers ne le sont plus vraiment et font office de « supérieurs intermédiaires ». Eux qui étaient des collègues que l’on appelait pour des conseils, sont aujourd’hui essentiellement des contrôleurs que l’on évite en général. Pour les conditions de travail autres que celles entretenues avec la hiérarchie, en primaire, je pense que cela dépend beaucoup des équipes et des secteurs où l’on est nommé. Globalement, mes rapports étaient bons avec les collègues, les enfants et les parents. Disons que le changement principal a été le rapport avec les parents que l’on a tous rencontré de plus en plus avec les années. Leur inquiétude m’a paru grandissante et je pense que l’organisation de la scolarité n’y est pas étrangère. Aujourd’hui tout est scruté au moment de l’orientation. Je pense que la tension avec les parents vient de là.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de repartir et comment avez-vous procédé ?
La lassitude, l’envie de découvrir beaucoup d’autres choses. Je me dois, là, de préciser que j’ai un profil particulier que j’ai découvert sur le tard. Je suis autiste, anciennement nommé asperger, et HPI. Je ne sais cela que depuis 3 ans et demi.
Je l’ai donc appris à 52 ans environ. Ma particularité m’a toujours créé quelques soucis. J’ai toujours eu du mal à isoler une source sonore. Pour faire simple, j’entendais une discussion même chuchotée quand je travaillais avec un élève en particulier. Par ailleurs, mes centres d’intérêts étaient très divergents par rapport à mes collègues. Les discussions banales du quotidien m’ennuyaient. Résultat, mes collègues qui étaient franchement adorables quand j’ai quitté l’éducation nationale, provoquaient sans le vouloir plus de fatigues encore. Et le soir à la maison, je ne cherchais que le calme et l’isolement. Pour la vie de famille, ce n’était pas l’idéal. Bref, ce diagnostic posé m’a décidé à me lancer.
J’ai dû approfondir mon projet de reconversion en en définissant les contours et en prenant divers contacts pour monter une société et trouver des personnes pour produire les pop-up en série.
Je pensais naïvement que là était la principale difficulté. Je me suis aperçu par la suite de mon erreur. J’ai demandé une disponibilité pour création d’entreprise. J’ai alors compris que l’éducation nationale ne laissait jamais partir ses enseignants comme cela. J’ai pourtant rencontré le médecin du personnel en lui montrant mes documents indiquant mon autisme. Temps perdu. J’ai reçu un refus pour raisons de service, avec une mention absurde me reprochant d’avoir créé mon entreprise sans demander l’avis de l’inspecteur. Pour information, on ne peut prétendre demander une disponibilité pour création d’entreprise sans la créer auparavant !
Je n’ai obtenu ma disponibilité que grâce à l’intervention d’Aide aux Profs. Après deux ans de disponibilité pour création d’entreprise, j’ai voulu prolonger avec une disponibilité pour raison personnelle. De nouveau, j’ai essuyé un refus. J’ai donc choisi de démissionner. L’administration ne me répondait pas, ce qui valait refus de leur part. J’ai encore une fois pu obtenir ma démission grâce à Aide aux Profs. Ca a été un immense soulagement pour moi. Ces échanges avec l’administration ont eu des conséquences lourdes pour moi.
Qu'avez-vous créé et comment se déroule une journée type ?
J’ai donc créé mon entreprise. Je fabrique des pop-up à monter soi-même. Le principe est assimilable à une maquette que l’on monte pas à pas et à la fin du montage, on obtient un pop-up. Une carte animée qui propose un décor en volume (en 3D) et que l’on peut refermer.
Aujourd’hui, ma journée type consiste à passer des appels aux écoles pour l’instant, tout en créant de nouveaux modèles. Tout d’abord sur carton que je découpe à la main, puis par la suite que je reproduis sur ordinateur ; ce qui me permet de tester ma découpe avec un découpeur laser. Une fois que le modèle est prêt j’envois le fichier image à une personne qui le fabrique en série.
Passé 16 h 30, je tourne les vidéos qui servent de notice quand il y en a à produire, ou j’anime mon réseau au travers des réseaux sociaux. J’ai aussi parfois créé des musiques que j’ai enregistré après cet horaire et qui enrichissent les vidéos. J’apprends encore à me servir de nouveaux logiciels pour enrichir mes possibilités.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le métier de professeur ? Avez-vous des regrets ?
Cela a été une bonne expérience et vu mon profil particulier, je pense que cela m’a aidé à forcer ma nature. La prise de parole en public me paniquait et j’avais tendance à faire les choses dans mon coin. Je me suis entrainé aux relations sociales comme jamais ! Et puis le contact avec les enfants m’a donné plus de confiance en moi. Je dois dire que j’ai eu plutôt de la chance car j’avais en général de très bons rapports que ce soit avec les enfants, les parents et les enseignants. J’ai eu dans une ou deux écoles des rapports plus difficiles avec certains enseignants, mais en général, je dois dire que cela a été marginal sur l’ensemble de ma carrière.
Je pense qu’il était temps pour moi de partir car je fatiguais de plus en plus. Si j’ai un regret, c’est de ne pas l’avoir fait avant.
Quels conseils pouvez-vous donner à un étudiant ou un salarié en reconversion qui veulent devenir enseignants ?
Aujourd’hui, je ne conseillerais pas à un étudiant ou à un salarié de se tourner vers ce métier. Non pas que je le pense sans intérêt ou ingrat. Les choses ont beaucoup changé et aujourd’hui on gère les choses de plus en plus à court terme. Il n’y a aucun recul sur les décisions prises. Les injonctions sur les écoles tombent de plus en plus vite. Les discours prennent le pas sur la réflexion.
Le résultat en est une pression constante sur les enseignants et par voie de conséquence sur les enfants. J’ajouterai à cela la pression des parents sur les enseignants et parfois aussi sur les enfants. Parents eux-mêmes confrontés à la pression instillée par un système d’orientation qui scrute tout le passé de l’élève. Autant dire qu’au moment des choix tout accident de parcours est pris en compte et ne peut être que négatif. En même temps, je n’imagine pas un monde sans enseignants. Mais, je pense que ce serait bien que l’on puisse faire ce métier quelques années avant de changer.
Quels conseils donnez-vous à ceux des professeurs qui veulent repartir ?
Si vous êtes dans une académie ou une discipline en tension, de vous adresser au plus vite à Aide aux Profs. Cela fait un peu promotion, mais étant dans le primaire, j’ai essayé de faire appel aux syndicats qui pour toute première réponse m'ont envoyé un bulletin d'adhésion ! (Alors que Aide aux Profs prend d'abord le temps d'analyser la demande, de répondre aux questions, d'évaluer la pertinence du projet, les difficultés qui se posent, etc.)
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