Le travail fantastique de podcasts réalisé par Florence AMAUDRU (ancienne professeur des écoles qui a démissionné) depuis le 13 juillet 2020, avec des témoignages très diversifiés, très intéressants à écouter, nous a donné envie début 2022 de lui faire réaliser un podcast d’une cinquantaine de témoignages qu’elle a lus elle-même, de professeurs en souffrance au travail qui expliquaient pourquoi ils voulaient quitter l’Education nationale, et son travail nous a épatés par sa qualité, son grand professionnalisme (à écouter sur « Pépin d’Airache », lien en bas de page après la lecture de cette interview).
Conscients de l’important travail de soutien aux professeurs qui veulent quitter le métier, qu’elle réalise, en diffusant elle aussi leurs témoignages sir le web, nous avons en juillet 2023 versé une somme pour contribuer à sponsoriser son podcast car nous le considérons d’utilité publique. Il apporte de la richesse dans cet univers de la reconversion professionnelle que les professeurs réussissent, et mérite d’être mieux connu, et nous y ferons régulièrement référence désormais.
Dans les deux décennies 2000-2010 et 2011-2020 le métier de professeur a beaucoup changé, la formation est passé d’un niveau Licence 3 + concours à Master2 + concours sans que le niveau de rémunération suive, et en parallèle les exigences de la hiérarchie (administration, inspection, direction) ont augmenté, ce qui conduit de plus en plus de professeurs soit vers le burn-out (15 à 17% de professeurs des écoles au bout de 2 ans dans ce cas d’après Laurence BERGUGNAT qui a étudié ce phénomène en 2011 dans l’académie de BORDEAUX), soit vers une dépression.
Depuis 17 ans nous avons été contactés par des milliers de professeurs vraiment découragés de la mauvaise gestion des ressources humaines qu’ils subissent, et de la multiplicité des nécessités de service qui les empêche d’aménager avec sérénité leur temps de travail.
Voilà les réponses de Florence AMAUDRU, de professeur des écoles vers Formatrice-Podcasteuse :
Nous lui avons posé les mêmes questions qu’aux 120 anciens professeurs que nous avions interviewés de 2006 à 2016 pour la rubrique « seconde carrière » du Café Pédagogique.
Pouvez-vous retracer les étapes de votre parcours professionnel depuis la fin de vos études jusqu’à votre départ de l'Éducation nationale ?
Une fois le Master MEEF et le CRPE en poche, j’ai exercé 6 ans en tant que professeure des écoles. Je n’ai jamais obtenu de poste fixe, mais j’ai eu l’opportunité de multiplier les expériences. J’ai enseigné de la TPS au CM2, majoritairement en REP (Réseau d’éducation prioritaire) et en multi-niveaux. J’ai eu une classe à l’année lors de ma dernière affectation, mais j’ai le plus souvent effectué des décharges de collègues ou des remplacements. J’ai également exercé un an en tant qu’enseignante surnuméraire après avoir été recrutée sur un poste à profil. J’ai mis fin à ma carrière grâce à une mise en disponibilité qui s’est rapidement transformée en démission.
Quelles compétences votre métier de professeur des écoles vous a-t-il permis d'acquérir ?
Si je devais toutes les nommer, la liste serait très longue. Celles qui me servent le plus au quotidien sont certainement l’organisation, la polyvalence et l’adaptabilité. Pour ma reconversion, le fait de savoir m’exprimer, structurer ma pensée, synthétiser mes lectures et rédiger correctement a été un véritable atout. De plus, je n’ai jamais perdu la main avec les nouvelles technologies et les principaux outils numériques. À cela, j’ajouterais l’écoute, la pédagogie, la curiosité, l’autonomie et la créativité. Autant de compétences qui me permettent aujourd’hui de multiplier les projets et les activités.
Quand avez-vous eu envie de partir et quel a été votre déclic ?
Le discours d’entrée dans le métier, la veille de ma première rentrée scolaire, m’avait déjà mis la puce à l’oreille. Lorsqu’on nous a dit “j’espère que vous aimerez ce métier, car vous allez le faire pendant 42 ans”, je savais déjà que ça ne serait pas mon cas.
Ensuite, lors de ma deuxième année d’enseignement, on m’a refusé une mise en disponibilité. En cherchant comment moduler mon activité pour avoir d’autres expériences professionnelles et personnelles, j’ai découvert que nous n’étions pas libres de demander un temps partiel, de reprendre une formation, de cumuler deux emplois, ou de faire une pause dans notre carrière. J’ai même entendu dire qu’une démission pouvait être refusée.
Plus je découvrais de contraintes liées au statut de fonctionnaire, plus j’en ressentais au quotidien dans mon métier. Le fait de ne pas choisir ses vacances, ses horaires, son lieu de travail, son poste, sa pause… Sans parler du manque de moyens, financiers et humains, qui ne permettent pas d’enseigner à tous les enfants dans de bonnes conditions. Tout cela ne correspondait pas à la vie que je souhaitais mener. J’aspirais à plus de sens et de liberté.
Comment s'est produit ce départ et quel était votre projet ? L'administration a-t-elle cherché à vous en empêcher ?
Comme la majorité des personnes qui souffrent au travail, j’ai longtemps été dans le déni. Il m’a fallu du temps pour comprendre que le problème ne venait pas de la classe, de la distance ou du type de poste sur lequel j’étais affectée. Une fois que j’ai compris que l’Éducation nationale n’était pas faite pour moi (et que je n’étais pas faite pour elle), je me suis questionnée sur mes possibilités. Je savais ce que je ne voulais pas, mais j’avais du mal à trouver ce que je voulais. Et surtout, je ne savais pas comment partir, et les informations qu’on me donnait disaient tout et son contraire. Je me demandais comment j’allais m’en aller, ce que j’allais faire, si j’allais avoir un salaire suffisant, un métier intéressant…
J’ai alors décidé de créer le podcast Avant J’étais Prof pour interviewer 10 enseignants reconvertis afin d’essayer de comprendre leur parcours.
4 ans auparavant, j’avais cherché à vivre de l’écriture d’articles pour des blogs. Grâce au podcast, j’ai rencontré quelqu’un qui le faisait vraiment et ça a été mon déclic. J’ai mobilisé mon CPF (Compte personnel de formation) pour me former tout l’été, j’ai demandé une disponibilité de droit, j’ai ouvert mon entreprise, et j’ai démissionné 2 mois après. J’ai dû batailler pendant 4 mois pour faire ouvrir mon CPF, mais j’ai été très bien accompagnée par la conseillère mobilité carrière de mon académie. Après ma démission, j’ai encore dû attendre plusieurs mois pour que l’EN me fournisse mes états de service. Tout paraît si simple et fluide une fois dehors.
Comment avez-vous vécu ce « grand saut » ?
Les 4 années de réflexion qui ont précédé ce changement étaient vraiment désagréables. Je me questionnais constamment sur mes envies, mes compétences, et sur moi-même. Une fois prête, tout m’a paru évident. J’ai démissionné alors que j’avais à peine commencé ma nouvelle activité, certaine que je n’y retournerais jamais.
Je me souviens encore du sentiment de liberté que ça m’a procuré !
Lorsque j’étais au plus bas, j’avais choisi de me faire accompagner par une psychologue, une coach en reconversion et une coach sportive. Le corps et l’esprit sont véritablement liés, et je ne sais pas si je m’en serais sortie toute seule. C’était un mois intense, mais ça m’a permis d’y voir plus clair et de rapidement passer à l’action. Quand la machine est en marche, tout s’enchaîne ensuite très vite.
Comment vos anciens collègues ont-ils perçu ce changement d’orientation ?
Quand j’ai parlé de ma décision à mes anciens collègues, j’ai découvert que plusieurs d’entre eux avaient déjà pensé à changer de métier, à se former ou à cumuler deux activités. La plupart avaient abandonné leurs projets après avoir essuyé un premier refus de la part de l’administration. Ils étaient contents pour moi, et certains me contactent aujourd’hui pour sauter le pas à leur tour, 2 ans plus tard.
Avez-vous eu des regrets, à cette époque, et depuis, de quitter l’enseignement ?
Je n’ai aucun regret à ce sujet, et je pense que je n’en aurai jamais. Pas même celui de ne pas être partie plus tôt, puisque je n’étais pas prête à le faire. Ni même celui d’avoir été prof, puisque c’est le métier que j’avais toujours voulu exercer. Je pense que nos choix sont le fruit de nos réflexions, de nos envies et de nos besoins à un instant T. Et puisque nous changeons tout au long de notre vie, nous ne voyons plus les choses de la même façon.
À mes yeux, la reconversion n’est pas un échec, au contraire. C’est une manière d’adapter notre vie professionnelle à la personne que nous devenons.
Comment considérez-vous le métier de professeur aujourd'hui, depuis que vous l'avez quitté ?
J’admire toujours autant le métier de professeur, mais je n’aimerais vraiment plus vivre dans ces conditions. Maintenant que je suis partie, je réalise à quel point tout est agréable et gratifiant en dehors de l’EN. Se former, changer de métier, cumuler plusieurs activités, choisir son travail, son lieu de vie, ses congés. J’ai l’impression que plus les années passent, plus les enseignants endossent de nouvelles responsabilités. Leur charge de travail et leurs conditions d’exercice me choquent toujours autant, compte tenu de l’importance de leurs fonctions. Je pense que les professeurs manquent cruellement de considération.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite enseigner ?
Mon conseil le plus précieux serait de commencer à enseigner en tant que contractuel. D’autant qu’il existe de plus en plus de postes à pourvoir sous ce statut. Cela permet de se faire une idée du métier, de se construire une première expérience et de savoir dans quoi on s’engage. Cela permet également de partir plus facilement, de faire une pause ou de refuser un poste, contrairement aux titulaires. Et si ce fonctionnement vous convient, rien ne vous empêche de rester contractuel plusieurs années. Les temps changent, et nous sommes à présent nombreux à préférer la liberté à la sécurité de l’emploi.
Et à un enseignant qui souhaite s’engager dans une « seconde carrière » dans le privé ?
Les enseignants ont un nombre de compétences et de capacités incalculables. Le problème, c’est qu’ils ne s’en rendent pas compte. Quand on est en salle des profs, on a l’impression que tout le monde sait faire les mêmes choses que nous. Et pourtant, c’est loin d’être le cas.
Croyez en vous et en votre adaptabilité. Vous avez tout ce qu’il faut pour travailler dans le privé et/ou pour vous y former. Je précise par ailleurs que vous n'êtes pas obligés de chercher un nouveau métier pour “toute la vie”. Votre seconde carrière n’a pas à être la dernière. Si vous en avez changé une fois, vous saurez comment le refaire.
Depuis votre départ, quelles ont été les étapes de votre évolution professionnelle, qui vous permettent d'en vivre aujourd'hui ?
J’ai commencé par me former à la rédaction web SEO et à écrire exclusivement pour des clients. J’ai retrouvé mon salaire de prof au bout de 6 mois, alors que je passais moins d’heures à travailler et que je prenais du plaisir à le faire. Cette première étape m’a permis de comprendre que j’étais capable de subvenir à mes besoins. J’ai ensuite profité de mon statut d’auto-entrepreneur pour diminuer mon activité afin de travailler dans une auberge de jeunesse en parallèle (une expérience que je rêvais d’avoir un jour). En revanche, je n’ai jamais mis le podcast en pause et j’ai décidé de le développer cette année. J’ai donc réalisé des partenariats tout en commençant à me rémunérer et j’ai démarché quelques sponsors. Après 3 ans de pratique, j’ai également créé une formation pour aider les gens à créer leur podcast en partageant toute mon expérience.
J’oscille donc entre la rédaction, le podcast, l’affiliation et la formation. Et je pense continuer à mener tout de front pendant un bon moment.
Ces médias l'ont récemment interviewée :
Ses podcasts peuvent être écoutés sur :
Sa formation au podcast est ici
Autres ressources utiles sur les sites d'AIDE AUX PROFS :
Tout en réalisant les enregistrements de témoignages de souffrance au travail de Pépin d'Airache, elle a co-réalisé une émission appelée "derrière les sourires". Nos travaux sont là aussi complémentaires.
Si tu souffres au travail, AIDE AUX PROFS t'offre ce guide pratique de 410 pages, réalisé par 2 experts, Rémi BOYER et José-Mario HORENSTEIN.
Après professeur, plus de 250 métiers différents ont été choisis par des professeurs sur la période 2006-2023, et nous avons pris le temps de les recenser. Tu peux les trouver dans ce répertoire alphabétique.
Si tu es titulaire, voilà les possibilités statutaires qui te permettent d'envisager une reconversion.
Toutefois, si l'Education nationale ouvre ses portes en grand pour accueillir tous ceux qui veulent bien venir enseigner, il lui est difficile d'accepter ta demande :
- de mutation vers la commune de ton choix,
- de mi-temps ou temps partiel,
- de cumul d'activités
- de congé de formation (5 à 15 ans d'attente selon les académies),
- de détachement,
- de disponibilité,
- de rupture conventionnelle, sinon de démission.
Et cela reste le problème majeur de tout projet de départ de l'Education nationale: réussir à franchir la "nécessité de service". Peu de candidats aux concours en prennent conscience: l'accès au statut de fonctionnaire (envié autrefois pour la sécurité de l'emploi qu'il offre) implique une privation de la liberté d'expression, et de mobilité. Le fonctionnaire est réputé devoir se soumettre, par loyauté, aux décisions de sa hiérarchie.
Aider les enseignants à franchir les barrages des "nécessités de service" est devenu la spécialité d'AIDE AUX PROFS, depuis 17 ans.
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