L'analyse de Victoria DAVID pour le Media SLATE ce 23 septembre 2022 reflète parfaitement la réalité de ce qu'est devenue l'Education nationale depuis l'an 2000, date à laquelle l'ancien Ministre Claude ALLEGRE pointait "l'absentéisme" des professeurs.
C'est à partir de ces années-là que les pratiques hiérarchiques se sont nettement durcies envers les professeurs, avec des inspecteurs toujours plus exigeants et moins valorisants, et c'est à partir des années 2009-2012 que le temps passé dans chaque échelon a été allongé pour qu'une carrière fasse 26 ans minimum au lieu de 20 ans auparavant pour les meilleurs éléments, en classe normale.
Le système depuis 2009-2010 a élevé le recrutement des professeurs au niveau d'un Master2, ce qui n'est pas rien, puisque ce niveau de recrutement hors Master2 destiné à l'enseignement, forme de futurs managers, des cadres supérieurs, qui seront rapidement dans le privé payés 2 à 3 fois plus que tout professeur démarrant à 1,1 Smic.
Le système qui organise l'emploi du temps et le métier des professeurs, cherche une main-d'oeuvre docile, qui cherche la sécurité de l'emploi, pour la coincer dans un statut de plus en plus rigide puisqu'il est impossible (sauf suivi de conjoint ou aide à un parent âgé malade, ou pour maladie ou accident) de quitter en cours d'année scolaire son académie, du fait des "nécessités de service" qui se multiplient dans les académies.
Le système exige de ses hauts fonctionnaires une parfaite obéissance, ce qui est normal puisque la chaîne hiérarchique, tout comme l'était il y a 1.200 ans l'organisation de Charlemagne, met l'accent sur la loyauté et la soumission absolue pour que le système d'administration fonctionne d'un seul homme ou d'une seule femme.
Mais ce système voudrait étendre cette soumission à toute une profession dont l'attractivité relève de:
- la liberté de pensée
- la liberté pédagogique
- la créativité au quotidien
- l'autonomie dans la mise en oeuvre de son programme disciplinaire, dès lors que chacun respecte le contenu des programmes à enseigner
Et c'est là que ça coince, dans une société où les démissions et reconversions sont de plus en plus faciles et nombreuses.
Le système de l'Education nationale semble fonctionner comme sous la IIIe République où tout professeur était vissé par sa hiérarchie. Les récentes représailles contre des délégués syndicaux peuvent laisser penser qu'un sacré tour de vis est en marche, pour museler les professeurs et en faire de simples exécutants, malgré leur Master2. C'est une stratégie destinée à supprimer définitivement la cogestion syndicale qui a tant fait leur puissance, subventionnée par les pouvoirs publics, de surcroît (en ETP via les décharges de leur élus, et sans compter les subventions de fonctionnement reçues par certains).
C'est là un très mauvais signal d'un système hiérarchique qui dévalorise professionnellement, par ce comportement, le haut niveau académique obtenu par chaque professeur.
L'objectif du système est-il de décourager les diplômés d'un Master2 de devenir titulaires par concours ? Cela nous paraîtrait presque évident si l'Education nationale réduisait d'année en année les postes mis aux concours d'enseignement.
Toujours est-il que nous partageons l'analyse de Victoria DAVID, et avions déjà publié depuis 3 ans dans différents médias cette analyse, que la pénurie de professeurs est partie pour durer.
Ce n'est pas la pénurie en 2022-2023, ce sera la pénurie tous les ans pendant tout le papy-boom des professeurs, de 2022 à 2045 au moins, si le système hiérarchique et administratif dans son entier, continue de traiter les professeurs comme des exécutants, en exigeants d'eux une parfaite obéissance alors qu'ils sont loin d'avoir les mêmes échelles indiciaires et les mêmes primes fixes et variables que les IEN, les IA-IPR, les PERDIR, les Chefs de Division, les Chefs de Bureau, les Directeurs d'Administration, les Dasen et les Recteurs.
Assurément, un tournant est en train d'être pris, incité par le dernier rapport du Sénat qui aimerait bien annualiser l'horaire de travail des professeurs, pour en réduire le nombre en les faisant travailler plus, pour qu'ils coûtent moins cher dans le budget de l'Etat. La promesse de 20% d'augmentation est juste un trompe-l'oeil.
Depuis 2 ans, AIDE AUX PROFS préconise de devenir professeur contractuel, car :
- le système va manquer de plus en plus de professeurs, et ceux qui veulent exercer ce métier n'auront pas à subir la délocalisation géographique imposée aux lauréats des concours, qui paient très cher leur titularisation en étant affectés sur des postes aux conditions de travail dégradées, souvent dans des académies où le pouvoir d'achat est hors de leur portée,
- les contractuels ont la possibilité de repartir à tout moment de l'année sans être coincés par leur académie par une "nécessité de service", qui décourage tant de titulaires, qui se sentent prisonniers, empêchés de réaliser n'importe lequel de leurs projets, avec des CMC et des CRHP (cf "GRH de proximité") qui ont été surtout formés pour les dissuader de partir, que de les accompagner pour s'en aller réussir autre chose,
- les contractuels peuvent librement cumuler plusieurs activités, et donc gagner bien plus que le maigre salaire proposé aux titulaires, alors que les académies bloquent de nombreux projets de cumuls avec une déontologie qui n'a cessé de se durcir, notamment depuis la mise en application du nouveau Code général des Fonctionnaires le 1er mars 2022 (issu d'un des décrets du 24 novembre 2021, provenant de la loi Dussopt du 6 août 2019).
Assurément, un tournant est pris, avec un durcissement de la discipline exigée des professeurs, qui les dévalorise complètement, avec un pouvoir d'achat indigne d'un titulaire d'un Bac+5.
Et l'inflation de l'année 2022 et celle de mi-2023 ne compenseront pas du tout la promesse de revalorisation de 10% du Président de la République, prévue pas avant la rentre 2023.
AIDE AUX PROFS a eu beau préconiser un allègement des contraintes, une plus grande liberté pédagogique et créative pour les professeurs, et surtout une possibilité de mobilité tout au long de l'année, ce système axé sur la rigidification constante de procédures toujours plus complexes, ne l'entend pas, ne veut pas l'entendre, quitte à devoir gérer une pénurie de professeurs chaque année.
On a le sentiment que ce système, devenu trop dur, a peur de manquer de candidats, et qu'il pense que c'est en verrouillant de plus en plus les portes de sorties, qu'il parviendra à continuer d'attirer des vocations, et à les garder.
Nous pensons bien au contraire que c'est de souplesse dont le système a besoin, avec la fin des inspections-sanctions, la fin du management autoritaire, et l'entrée dans une autre forme de pilotage, qui donnera la part belle à la co-construction de nouvelles règles de management participatif, faisant confiance aux acteurs de terrain que sont les professeurs.
Cela supposerait :
- une perte de pouvoir des acteurs que sont les inspecteurs, surchargés de travail par leur tutelle (pas un qui ne fasse moins de 60h de travail par semaine, Georges FOTINOS en 2016 avait publié un rapport terrible sur le burn-out des inspecteurs, auquel les ministres successifs n'ont guère fait attention),
- une réduction des charges de travail sur la chaîne des acteurs,
- une suppression de cet esprit de contrôle et de soumission en vogue à l'Education nationale, qui est en train d'annihiler en 2022 les efforts qu'elle avait réalisés de 2019 à 2021 avec la "GRH de proximité" (le naturel de nombreux managers et en train de revenir au galop).
RIEN N'EN PREND LE CHEMIN. LE REGAIN D'ATTRACTIVITE N'EST PAS POUR DEMAIN SI LES PRECONISATIONS DU SENAT, QUI NE SONGE QU'A FAIRE DES ECONOMIES SUR LE DOS DES PROFESSEURS, EST APPLIQUE.
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