Mattea Battaglia est venue solliciter notre expertise à propos des l'accroissement des démissions de professeurs, et nous lui avons fourni notre analyse et des témoignages nombreux, et elle en a présenté une partie dans son dossier paru dans Le Monde de l'édition du 23.11.2021 en pages 16 et 17 (cf PDF ci-dessous).
Les démissions des professeurs ont été de 1.648 d'après l'Education nationale en 2020-2021. Ce chiffre ne prend en compte que les démissions acceptées et est donc faussé puisque beaucoup de Dasen et de Recteurs refusent les demandes de démissions des professeurs car ils sont en pénurie de main-d'oeuvre. Il en est de même des demandes d'Indemnités de Rupture Conventionnelle (IRC) qui depuis l'article 72 de la loi Dussopt du 6 août 2019 ont laissé espérer aux professeurs une indemnité pour se reconvertir et une ARE. Le nombre d'IRC accordées en 2020 n'a été que de 276 demandes sur les 1.219 formulées par des personnels d'enseignement dont plus de 90% de professeurs. Sur les 7 premiers mois de 2021 le nombre de demandes acceptées a été de 676.
Si l'on extrapole le % de refus de l'IRC qui a été de 74% en 2020 au traitement des démissions, donc 4 sur 5 refusées, ce serait plus de 8.200 démissions qui auraient été émises initialement par les professeurs pour seulement 20% acceptées.
Ce serait donc au moins 10.000 professeurs qui auraient tenté de s'en aller en 2020-2021.
Si l'Education nationale n'est pas d'accord avec cette analyse, qu'elle dévoile enfin ces chiffres dont elle semble très avare d'une année sur l'autre:
1) Nombre de demandes initiales de démissions avant réponse des RH/Dasen/Recteurs
2) Nombre de demandes initiales de Ruptures Conventionnelles avant réponse des RH/Dasen/Recteurs
3) Nombre de demandes initiales de disponibilités pour convenances personnelles avant réponse des RH/Dasen/Recteurs
4) Nombre de demande de départ - après avoir été sélectionné meilleur(e) candidat(e) - pour un recrutement en détachement, avant réponse des RH/Dasen/Recteurs
5) Nombre de disponibilités de droit obtenues pour élever un enfant de moins de 12 ans ou pour suivre son conjoint muté
Toutes raisons qui permettent à un professeur d'aller voir ailleurs.
Ce qui réduit l'intérêt de devenir professeur dans notre pays n'est pas seulement le fait que leur salaire brut primes comprises ait perdu plus de 40% de pouvoir d'achat depuis 30 ans, mais aussi que les autorités académiques émettent de plus en plus de "nécessités de service" pour empêcher autant que faire se peut les professeurs qui le souhaitent de repartir. Tout cela avec une forme de consentement obligé des syndicats dont les moyens de fonctionnement (décharges d'heures-postes ETP de professeurs qui enseignent du coup beaucoup moins d'heures, alors qu'on manque de professeurs, il y a actuellement 2.390 ETP consacrées à cela) dépendent de l'Education nationale. C'est le serpent qui se mord la queue.
Durant la période 2000-2020 les autorités académiques par la voie des IEN, IA-IPR et des Attachés d'administration en position de Chef de Division et Chef de Service se sont plus à répéter aux professeurs qu'un "fonctionnaire fonctionne", certains IEN et IA-IPR n'hésitant pas à proclamer avec une grande fierté et fermeté devant une assemblée de futurs inspecteurs ou chefs d'établissement béats et n'osant pas intervenir de craintes d'être "mal vus" qu'un "haut fonctionnaire n'a pas d'état d'âme, mais une âme d'Etat".
Ce discours semble quelque peu s'est mis en veilleuse depuis la mise en place de la "GRH de proximité", qui n'a pas changé grand chose à la situation de manque de confiance en l'Institution que ressentent beaucoup de professeurs. Ils sont nombreux à le dire sur les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, Tik-Tok. Car ce que n'a pas compris encore l'Education nationale qui aimerait museler de plus en plus la parole de ses professeurs comme elle le fait pour ses hauts fonctionnaires (cf article 1 remanié du Code de l'Education), c'est que la IIIe République appartient au XIXe siècle et XXe siècle et que nous sommes entrés dans l'ère numérique où "tout se sait" grâce à Internet. Chaque professeur qui s'est senti maltraité ou méprisé par son administration sait maintenant (il/elle possède un Master2, donc très intelligent) se servir d'un pseudo sur les réseaux sociaux et se faire le porte-parole de ses proches collègues en souffrance ou pour exprimer sa situation personnelle. Et c'est une inflation de témoignages sur les réseaux sociaux !
Si l'envie de partir s'est accrue, tout n'est pas lié à la crise sanitaire: l'élévation du niveau d'entrée dans le métier au niveau d'un Master 2 a renforcé le coût d'arrivée dans le métier de professeur alors qu'il est nettement moins bien rémunéré que ceux qui se seront contentés d'une Licence 3 pour réussir les concours d'attachés d'administration de tous les ministères via les Instituts Régionaux d'Administration.
L'Etat a laissé perdurer depuis 10 ans cette anomalie de recrutement très préjudiciable à la carrière et aux revenus des professeurs, avec un décalage croissant de leurs primes et de leurs indice, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2000 ayant toujours privilégié les revenus de la dizaine de milliers de hauts fonctionnaires d'Education pour s'assurer de leur loyauté pleine et entière, au détriment des professeurs dont les salaires ont perdu de la vitesse. Ils seront bientôt payés comme les pays de l'OCDE les plus pauvres.
Si le prochain quinquennat n'accroît pas d'au moins 50% en début de carrière et 30% en fin de carrière les professeurs, fonctionnaires et assimilés, il ne faudra plus dire qu'il s'agit du métier le plus beau du monde, ni empêcher les professeurs de partir ailleurs quand ils en ressentent le besoin, ni dire qu'il y a une "crise du recrutement", puisque tout aura été fait depuis 20 ans, de Gauche comme de Droite, pour parvenir à cette situation.
DOSSIER DU 23.11.2021 de l'Edition du MONDE (ou PDF ci-dessous)
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