Ludovic LEDUC a décidé de vivre de sa passion, ce qui n'est pas évident dans une société où beaucoup rêvent de s'épanouir professionnellement sans avoir à rencontrer de difficultés !
Lui connaît le prix de sa passion: des milliers d'heures d'auto-formation sur le terrain, de conception d'outils pédagogiques, d'expériences diverses et variées sur des contrats courts... une véritable aventure qui séduira ceux des professeurs qui rêvent leur reconversion sans lui donner une existence réelle, préférant parfois vivre leur passion, plutôt que vivre de leur passion.
Ludovic LEDUC, lui, va au bout de tous ses rêves d'enfant et nous apporte dans cette interview de très bons conseils d'expérience aux professeurs qui veulent vivre de leur passion, sans attendre d'arriver à leur retraite...
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études ?
Après mon Master de volcanologie, j’ai été engagé comme médiateur scientifique à l’Espace des Sciences de Rennes pour présenter une exposition sur le son. Un sujet plutôt loin de la volcanologie donc, mais une structure et un poste parfait pour me rendre compte que la transmission des connaissances était ma voie !
Le choix d’aller vivre à La Réunion a ensuite été la révélation. J’ai découvert une île merveilleuse, avec un volcan superbe et très actif. De quoi assouvir enfin ma passion pour les volcans qui m’anime depuis que je suis enfant, tout en m’épanouissant professionnellement comme médiateur scientifique au sein de la Cité du Volcan, un musée sur le Piton de la Fournaise.
Après cette expérience très enrichissante, j’ai choisi de devenir indépendant, souhaitant continuer à transmettre mes connaissances sur ce volcan. J’ai notamment développé des parcours pédagogiques autour du volcan, afin de faire découvrir comment ces paysages grandioses se façonnent et comment le volcan fonctionne. J’ai aussi profité d’une belle et longue éruption en 2015 pour créer un film pédagogique que j’ai associé à un livret de questions/réponses que je vends, pour les professeurs de SVT et les curieux.
Cette expérience outre-mer m’a lancé dans ce que je ressens être une vocation. L’écriture du Guide géologique de La Réunion, dont j’ai été le coordinateur et l’auteur principal, m’a permis de continuer à faire découvrir ces paysages d’une autre manière, même une fois rentré en métropole. Avec le temps j’ai aussi eu l’envie de m’ouvrir à d’autres volcans, d’élargir mon champ de connaissances et de compétences.
C’est pourquoi avec un ami, mon partenaire d’Objectif Volcans, nous avons commencé à organiser des voyages pédagogiques sur les volcans actifs, pour le grand public pour l’instant, même si j’aimerai m’inscrire dans un projet scolaire de ce type à court terme. Je propose également des interventions sur les volcans dans les établissements scolaires que j’aimerai proposer plus largement. Je suis aussi un des collaborateurs de la fondation Volcano Active, qui vise notamment à mieux éduquer et informer les populations qui vivent sous la menace des volcans actifs. J’ai toutefois gardé une grande attache avec la Cité du Volcan à La Réunion et nous avons quelques projets en commun: livre, film, projets muséographiques, production de documents scientifiques...etc. En compléments de ces différentes activités, je suis aussi l’actualité volcanique mondiale, ce qui me permet ensuite de sensibiliser les gens à la volcanologie, ses risques, sa beauté et sa puissance via les réseaux sociaux…
Vous auriez-pu devenir professeur de Sciences de la Vie et de la Terre, y avez-vous pensé ?
Pas vraiment… La volcanologie est une spécialité de la géologie qui a elle-même une place assez modeste dans l’enseignement des Sciences et Vie de la Terre. La voie indépendante que j’ai choisie me permet donc de passer beaucoup plus de temps sur cette spécialité, ce qui m’épanouit, même si ce n’est pas toujours simple financièrement parlant et donc parfois un peu frustrant.
J’ai bon espoir qu’à l’avenir mes différentes activités soient un peu plus rémunératrices, ce qui facilitera aussi mon besoin de vivre plus d’expériences volcaniques…
Vous avez été médiateur scientifique pendant deux ans : quelles y ont été vos missions et responsabilités ? Pourquoi avoir abrégé cette expérience comme salarié ?
À l’espace des Sciences, j’avais un contrat en lien avec une exposition qui durait six mois. J’animais des interventions chaque jour, pour le grand public et les scolaires. À la Cité du Volcan, j’avais en charge les visites guidées, que ce soit pour les visiteurs ou pour les scolaires, mais je m’occupais également d’élaborer des animations scientifiques diverses sur le thème des volcans. Ces deux expériences salariées se sont terminées en fin de contrat, avec une lettre de recommandation.
Mon poste à la Cité du Volcan me correspondait parfaitement et la sécurité du salariat était indéniable. Mais le renouvellement de mon contrat n’a pu se faire, pour des raisons économiques et car je n’étais qu’un réunionnais d’adoption, ce que je comprends par ailleurs. La déception était quand même grande, mais le choix de devenir indépendant m’a permis de me découvrir et aujourd’hui, je ne le regrette pas et suis fier de ce que j’accomplis.
Vous avez souhaité devenir volcanologue sans thèse, sans habilitation par un organisme de recherche : quelles sont les difficultés de cette 3e voie, sous quel statut, et comment le vivez-vous au quotidien ?
Les gens imaginent ou associent souvent le métier de volcanologue avec l’image d’Haroun Tazieff ou de Maurice et Katia Krafft, ce qui n’est plus vraiment valable. Le volcanologue d’aujourd’hui est un chercheur qui, malheureusement ou non, peut travailler toute sa carrière dans son laboratoire, ou du moins peu fréquemment sur un volcan. Certains sont néanmoins rattachés à des observatoires volcanologiques où le terrain est bien plus présent, mais selon le volcan que l’on surveille, il est aussi possible de passer toute une carrière sans vivre d’éruptions…
Me concernant, et sans doute que le fait d’être passionné y est pour beaucoup, je n’imagine pas ce métier sans le terrain. J’ai cette envie de voir de nombreux volcans et de vivre des éruptions ! Je suis évidemment très intéressé par les découvertes que permet la recherche fondamentale et m’appuie d’ailleurs sur ces publications lors de mes différents projets, mais la transmission me semble tout aussi important, pour le grand public, pour les scolaires, pour les populations qui vivent sous la menace des volcans… Je me sens plus utile et à l’aise dans cette voie et ai donc décidé de tracer mon propre chemin.
En tant qu’auto-entrepreneur, j’ai une certaine liberté dans le choix et la manière dont je fais avancer les projets. Mais ils sont à créer de A à Z et le processus est parfois assez lent et complexe. Par exemple, je suis en train de terminer un livre qui devrait paraître cet été, et il se sera passé deux ans depuis que nous avons commencé à discuter du projet avec la Cité du Volcan ! Une bonne moitié du temps accordé à celui-ci concerne tout sauf la volcanologie, puisqu’il m’a fallu gérer tous les échanges avec le directeur scientifique du musée, l’imprimeur, les photographes, l’illustrateur, l’opératrice qui s’occupe de la mise en page et ce, en plus de la partie scientifique du travail. Il faut donc être persévérant et forcément un peu passionné pour faire avancer un tel projet !
Aussi, j’ai compris assez vite que ce n’est pas parce que vous proposez un document de qualité que vous allez le vendre malheureusement. Il est en effet impératif d’obtenir une certaine notoriété ou visibilité, et ceci vient en partie avec le temps, mais aussi par le développement de son réseau. C’est aussi pour ces raisons que j’essaye d’être actif sur les différents réseaux sociaux ou professionnels.
Certaines de mes activités, comme l’organisation d’un séjour volcanologique encadré, prennent également beaucoup de temps en amont, et peuvent parfois ne pas avoir lieu ! Il y a donc une certaine charge de travail qui n’est parfois pas payante. Ceci dit, cela fait partie de l’entreprenariat, et il faut l’accepter pour mieux avancer…
Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans votre métier ?
J’aime toucher à tout et essaye ainsi de développer des projets diversifiés, ce qui m’a permis d’acquérir quelques compétences indépendantes du travail scientifique. J’ai par exemple appris à filmer les éruptions et à réaliser des montages vidéos pour produire des films pédagogiques. J’ai aussi acquis de bonnes bases en infographie afin de créer des documents scientifiques et pédagogiques que j’espère clairs, agréables à regarder et intéressants.
Au-delà de ces compétences plutôt « techniques », je pense aussi réussir à capter l’attention du public ou du lecteur, notamment en faisant ressentir la passion qui m’anime. J’aime trouver les moyens pour expliquer simplement des choses qui peuvent paraître compliquées… J’aime chercher les informations, les comparer, afin d’en faire un résumé intéressant et détaillé, et je pense que mes publications sur les réseaux sociaux sont appréciées aussi pour cela.
J’ai également progressé sur la partie « commerciale » de mon travail, même si je dois encore m’améliorer. Vendre mon travail, que ce soit un livre, un voyage ou une conférence, n’est pas le plus agréable pour moi, même si c’est essentiel !
Vos produits pédagogiques ont-ils du succès et pour quels niveaux d’enseignement ?
Je suis fier de pouvoir dire que j’ai eu de très bons retours suite aux interventions scolaires que j’ai pu faire. Deux établissements souhaitent même un abonnement ! En général, les professeurs aiment assez le fait qu’ils puissent choisir parmi plusieurs thèmes à aborder pendant l’intervention… Pour l’instant, j’interviens dans les collèges et lycées, mais à terme j’aimerai développer des animations pour les écoles primaires et donner des cours dans les universités…
Le voyage pédagogique organisé en Sicile (Etna, Stromboli, Vulcano) a également ravi les premiers participants. Ils sont revenus en ayant vu beaucoup de choses, et notamment des manifestations volcaniques puisque Stromboli a une activité permanente depuis deux à trois millénaires. Ils ont aussi pu comprendre un certain nombre de choses : le fonctionnement des volcans, les risques qu’ils engendrent, la manière dont ils sont surveillés… etc. Voir et comprendre, cela pourrait être notre devise ! Nous ne demandons aucun prérequis scientifique et avons un discours adapté à tous les niveaux et ce, même avec un groupe hétérogène en termes de connaissances volcanologiques. Nous avons reprogrammé le voyage en Sicile cette année (initialement prévu fin avril 2021 mais reporté en août de cette année) et avons ouvert un autre séjour aux Açores (juillet 2021), en collaboration avec l’agence 80 Jours Voyages.
Pour ce qui est des produits que j’ai réalisés et que je vends, à savoir le Guide géologique de La Réunion et le DVD pédagogique sur le Piton de la Fournaise, il est assez difficile d’avoir des retours directs. Pour un livre de géologie, le guide se vend plutôt bien, même si le tirage est modeste. Concernant le DVD, je pensais mieux le vendre, même s’il souffre du support qui est de moins en moins utilisé. Pourtant, ce film pédagogique (Une éruption classique à La Réunion) de 11 minutes associé à un livret d’une trentaine de questions/réponses, réalisé en collaboration avec un professeur de SVT réunionnais, est un document pédagogique incontestable. Et un document clé en main pour les professeurs !
Que conseilleriez-vous à un enseignant de SVT qui souhaite lui aussi vivre de sa passion ?
Je peux conseiller de bien réfléchir, de peser les pour et les contre. Je pense qu’en discuter avec ses proches est primordial, car ce genre de choix peut bouleverser la vie de famille… Il faut aussi avoir à l’esprit que financièrement, cela peut être compliqué pendant plusieurs années, mais l’épanouissement professionnel est total !
S’il est possible, un mi-temps dans un premier temps permettra sûrement de tester l’activité imaginée avant de prendre une décision. Vivre sa passion peut être plus facile que de vivre de sa passion !
EN SAVOIR PLUS:
Le contacter sur sa page Facebook
La bande-annonce qui présente le DVD
Le Guide géologique de La Réunion
Les deux voyages programmés en 2021 :
Écrire commentaire