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Patrice Romain publie "Requiem pour l'Education Nationale"


Patrice ROMAIN a été instituteur de primaire pendant 20 ans et directeur d'école pendant l17 ans en parallèle, puis personnel de direction en collège pendant 23 ans.

 

Il publie son premier livre en 1993, dans lequel il dresse les portraits de ses collègues enseignants de primaire vus par un élève. Puis il collectionne les mots que lui adressent les parents d’élèves, et en fait "Mots d'excuse" en 2010  qui devient un best-seller (350 000 exemplaires). Suivront de nombreux ouvrages souvent liés à l'Education nationale.

 

Requiem pour l'Education Nationale publié le 11 mars 2021nous éclaire enfin sur l'envers du "pas de vagues" managérial, et sur les conditions réelles de travail des chefs d'établissement, donc l'Institution a tant besoin. 

 

Patrice ROMAIN a accepté de répondre aux questions d'AIDE AUX PROFS:

 

Passé d’instituteur à principal de collège, quelles consignes et directives avez-vous reçues lors de votre formation et de votre hiérarchie pour « changer de posture » vis-à-vis des professeurs que vous auriez à « gérer » ?

 

Aucune ! Le concours de personnel de direction est basé sur un devoir écrit sur un sujet général (ayant trait à l’Education nationale), puis un entretien oral avec un jury. Ensuite, vous êtes balancé dans un collège !

 

Pourquoi avoir préféré devenir principal de collège plutôt que directeur d’école, puisque vous étiez enseignant dans le 1er degré ?

 

J’ai été 17 ans directeur d’école. Devenir principal était une suite logique de carrière.

 

Quels sont les moyens d’action préconisés par les DRH et autres hauts fonctionnaires académiques aux chefs d’établissement envers les professeurs qui « posent problème » ?

 

Il faut toujours garder à l’esprit que la devise de l’Education nationale, c’est « pas de vague ». La hiérarchie tente toujours de minimiser le problème. Lorsqu’un professeur « pose problème », elle tente le plus possible de tergiverser. Elle n’agit que lorsqu’elle se rend compte qu’il y aura plus d’inconvénients à laisser pourrir la situation qu’à intervenir. La solution prioritairement choisie est de ne plus le mettre en face des élèves pour que les parents ne s’agitent pas.

 

Dans quels domaines le « pas de vagues » s’applique-t-il le plus quand on est principal de collège ?

 

Tous ! Discipline (pression sur les chefs d’établissement pour ne pas convoquer de conseil de discipline), résultats (pression pour que les notes au contrôle continu soient bonnes afin que les résultats aux DNB soient corrects), laïcité (consignes de laisser tomber lorsqu’un parent ne se comporte pas conformément aux valeurs de l’Ecole laïque), autorité (laisser faire si les parents soutiennent l’enfant), etc.

 

Lorsqu’il est connu qu’un perdir ou un inspecteur harcèle les professeurs, pourquoi est-ce l’omerta qui prévaut au sein de l’administration ? Comment pourrait-on faire autrement ?

 

Qui a nommé l’inspecteur ou le perdir si ce n’est l’institution ?... Elle refuse de reconnaître qu’elle s’est trompée. Là aussi, si ça fait trop de vagues, à savoir que les syndicats montent sérieusement au créneau, elle botte en touche en mutant (de préférence en y associant une promotion) le harceleur…

La solution serait pour les hauts fonctionnaires d’avoir du courage et de privilégier leurs valeurs (pour peu qu’ils en aient) à leur carrière… C’est ce qu’on appelle un vœu pieux !

 

Qu’arrive-t-il en cours de carrière à un inspecteur ou un perdir qui manque à son devoir de réserve ? Quelle est l’échelle des sanctions pratiquée et est-elle couramment appliquée ?

 

On est toujours dans le pas de vague et le politiquement correct : on peut manquer à son devoir de réserve en tenant des propos de gauche, c’est même limite bien vu, mais pas en tenant des propos de droite. Personnellement, j’ai été convoqué par ma hiérarchie suite à la parution d’un de mes livres. Avant l’entretien, j’ai demandé si je pouvais venir avec un délégué syndical et/ou un avocat. « Pas la peine », m’a-t-on répondu. Effectivement, trois hauts fonctionnaires m’ont pourri durant une heure mais ne m’ont infligé aucune sanction : cela aurait provoqué trop de vagues…

 

Dans le pire des cas, l’inspecteur et/ou le perdir concerné est muté… là-aussi, généralement sur un poste ou dans un territoire plus prestigieux. Ainsi, tout le monde est content… 

Je n’ai jamais entendu parler d’un inspecteur ou d’un perdir sanctionné…

 

Y a-t-il dans ce système pyramidal des fonctionnaires plus nuisibles que d’autres par leur fonctionnement et leurs décisions ? Qui dirige et contrôle le plus ce que font les autres ? Qui a réellement « le pouvoir » ?

 

Tout est une question de personnalité, comme dans tous les métiers. En fait, personne n’a réellement de pouvoir : le recteur peut sauter d’un jour à l’autre (j’en ai connu un qui avait dit « Vous m’emmerdez » à des infirmières syndicalistes : il a aussitôt fait ses bagages) ; les inspecteurs d’académie doivent faire profil bas devant les parents et les élus (toujours pour ne pas faire de vague) afin d’être bien vus par le recteur, donc obtenir leur prime et leur mutation.

 

Les chefs d’établissement, qui certes peuvent jouer au petit caporal (ce qui est difficile à vivre pour les professeurs) n’ont en fait aucun pouvoir, pour peu que le prof soit bien défendu par son syndicat. Nous sommes dans un monde de fonctionnaires à l’emploi garanti. Le professeur, dans le pire des cas, a un mauvais rapport d’inspection. C’est peut-être difficile à vivre psychologiquement, mais, une fois l’inspection terminée, il est tranquille et sa carrière n’en subit pas de conséquences (sauf cas extrêmes). 

 

Dans un Rectorat, le poste de médiateur est confié à des chefs d’établissement ou des inspecteurs qui ont pris leur retraite. Pourquoi selon vous, et que serait-il préférable de faire ?

 

Le médiateur ne sert à RIEN, sinon à temporiser jusqu’à ce que ça se calme. Je ne suis pas certain de vos informations (confié à des retraités). Mais ce poste est attribué par népotisme (d’où l’intérêt de la flagornerie pour les perdir et les inspecteurs intéressés) ou donné à ceux qui mettent le feu dans leur établissement ou lors de leurs inspections (placard doré et pas de vague) !

 

Lorsqu’un perdir a face à lui en établissement des professeurs élus syndicaux virulents qui contestent toutes ses actions, sa demande de mutation est-elle la seule solution possible ?

 

Dans les faits, oui : à l’Education nationale, c’est souvent celui qui a le plus fort pouvoir de nuisance qui l’emporte. Le prof peut rester toute sa carrière au même endroit. Si ça clashe trop, on va discrètement muter le perdir (en lui faisant miroiter un bon poste, bien sûr, toujours selon le principe du pas de vague)

 

Vous parlez d’un système « qui ne produit qu’hypocrisie, pusillanimité et vélléité ». Pouvez-vous donner quelques exemples caractéristiques de toute académie ?

 

Aucun soutien aux subalternes (conflit prof-élève par exemple). Chiffres pipeautés pour faire plaisir à la hiérarchie (DNB contrôle continu). Laïcité mise à mal (élève handicapé qui exige de changer d’assistant de vie scolaire car c’est une femme ; administration qui cède)… Je vous renvoie au livre !

 

Les syndicats la dénoncent souvent : l’omerta dans l’administration. Quelles fonctions l’orchestre réellement ? Qui pourrait l’empêcher de nuire ?

 

La peur de perdre ses petits (gros) avantages. Les syndicats profitent également du système (nombreux « détachements »), ils ont parfois un double langage. Pour briser l’omerta, il faut du courage, tout simplement. 

 

Quelles « qualités » doit posséder un professeur qui souhaite faire une belle carrière comme inspecteur, chef d’établissement ou attaché d’administration dans pareil système ? Que devra-t-il éviter de faire ?

 

Il doit être schizophrène !!!!! S’il est entier, honnête avec lui-même, respectueux de certaines valeurs et qu’il le proclame, il va au-devant de gros ennuis !

 

Que risque un perdir qui remonte trop d’incivilités et d’agressions provenant de son établissement, dans les statistiques ?

 

On lui fait comprendre qu’il serait préférable de régler tous ces problèmes mineurs en interne, puis on sous-entend qu’il ne sait gérer ni ses élèves ni ses professeurs. Donc on le pénalise dans la poursuite de sa carrière.

 

Parfois des professeurs portent plainte au T.A contre une décision administrative et malgré une décision en leur faveur, le Recteur refuse de l’appliquer. Que reste-t-il au professeur comme moyen d’action pour faire valoir sa cause ?

 

Je ne sais pas. Nous sommes dans un pays de droit. Mais l’examen d’une plainte prend des années… Difficile… Savez-vous que le pont de l’île de Ré est juridiquement illégal ?... C’est le pot de terre contre le pot de fer. Seule une forte médiatisation peut faire bouger les choses : les hauts fonctionnaires ont une peur bleue de la presse…

 

La GRH de proximité déployée depuis la rentrée 2018 peut-elle durer après Blanquer, va-t-elle engendrer une révolution du mode de management selon vous ? A-t-elle changé quelque chose dans les pratiques des chefs d’établissement depuis 2 ans ?

 

Effet d’annonce ! Encore des fonctionnaires « missionnés » pour brasser de l’air ! 

 

Enfin, quels objectifs vous êtes-vous fixé en publiant « requiem pour l’Education nationale » ? Que voulez-vous voir changer ?

 

Je souhaite que ce livre soit lu par un maximum de personnes : plus il aura du succès, moins nos décideurs pourront se cacher derrière leurs petits doigts pour affirmer que tout va bien…

 

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